Comment les relations de travail vont tranquillement se réorganiser

Comment concilier le besoin croissant de flexibilité des entreprises et le besoin de sérénité des individus plongés dans un monde en mutation permanente ?

Cet article propose, à défaut d’une solution détaillée, une vision de ce qui apparaît aujourd’hui comme incontournable.

Ce que j’ai appris en tant que concepteur de logiciels

Les systèmes d’information orientés “gestion” évoluent de plus en plus vers une architecture organisée en microservices, chacun assurant avec le maximum de fiabilité une fonction bien précise, pilotée par un moteur de workflow personnalisable.

Le constat

La complexité du marché du travail

Le marché du travail s’organise autour d’une multitude de statuts : 

  • salarié à durée indéterminée,
  • salarié à durée déterminée,
  • salarié à temps partiel,
  • salarié temporaire (intérim),
  • auto entrepreneur, 
  • stagiaire, 
  • apprenti,
  • freelance,
  • travailleur détaché, 
  • profession libérale,
  • sans évoquer la palanquée de statuts de la fonction publique
  • etc

Chacun avec ses règles de droits, sa fiscalité ou sa convention collective.

La flexibilité : besoin essentiel des entreprises 

Même si c’est choquant, recruter n’est pas une fin en soi pour l’entreprise commerciale mais un moyen de réaliser ses objectifs avec, comme principe, de créer un maximum de valeur avec un minimum de ressources. 

Nous savons que l’idéal serait de produire le moins cher possible, à un coût marginal quasi nul afin de maximiser les marges et c’est la tendance que nous observons.

Pour diminuer la consommation de ressources, l’entreprise est contrainte de se réorganiser en permanence en faisant de plus en plus appel à la robotisation, l’informatisation, le cloud, l’intelligence artificielle, l’externalisation des activités non stratégiques.

Cette réorganisation continue oblige l’entreprise à être de plus en plus agile dans ses outils mais également dans ses équipes. C’est pourquoi la flexibilité est un besoin vital pour elle.

L’enjeu pour l’entreprise devient la capacité à se transformer, c’est à dire à adapter les compétences, les profils, les outils, les effectifs, les lieux de production aux nouvelles exigences de son écosystème.

Aussi, l’entreprise est obligée d’intégrer dans sa gouvernance des équipes dédiées aux projets de transformation, assurant la conduite du changement à marche forcée.

La sérénité : besoin essentiel de l’individu

L’individu actif a un besoin de plus en plus prononcé :

  • de travailler à son rythme, 
  • de donner du sens à son travail, 
  • d’avoir des relations de travail apaisées, 
  • de se former de manière continue,
  • d’organiser son temps, 
  • de témoigner de ses succès, 
  • de varier ses activités, 
  • d’être rémunéré à hauteur de sa disponibilité, de son travail ou de sa créativité,
  • d’avoir un sentiment d’appartenance et d’utilité à un groupe, 
  • d’être pris en charge en cas de difficultés personnelles,
  • d’évoluer dans un environnement de qualité (confiance, motivation , satisfaction)
  • etc…

Les structures organisationnelles

De nouvelles formes d’organisation du travail comme l’holacratie préconisent la suppression du management traditionnel, c’est à dire du modèle hiérarchique où le directeur définit les tâches et vérifie leur bonne exécution.

Le reportage du 21 Avril 2018 sur France 2 (se positionner à 20 mn) constitue un bon résumé dans lequel on voit une équipe de la Deutch Bahn (SNCF Allemande)  fonctionner en mode autogéré.

Ces changements méthodologiques, devenant culturels, sont tous issus des méthodes agiles. Les bénéfices sont très visibles sur l’ambiance de travail, la qualité des décisions, l’efficacité.

Une solution pour demain

Nous voyons sous nos yeux de nouveaux modèles d’organisation se mettre en place dans des domaines aussi variés que le commerce, la banque, la formation, les loisirs, les transports, la presse, l’hébergement, la mobilité. L’organisation du travail n’échappera pas à la règle. 

La résolution de l’équation associant la flexibilité de l’entreprise et la sérénité de l’individu impose l’émergence concomitante de plateformes de ressources humaines (RH) et de plateformes de workflow (WF)

Les plateformes RH

Au même titre qu’il existe des plateformes d’approvisionnement comme l’énergie, les matières premières, le transport, nous verrons apparaître inéluctablement des plateformes dédiées à l’approvisionnement en ressource humaine.

Il n’y a rien de visionnaire à l’affirmer puisque des pans entiers de relations de travail sont déjà organisés en plateforme comme les rédacteurs, les consultants, les informaticiens et en général les prestataires à haute valeur ajoutée.

Le principe d’une plateforme RH consiste à assurer la gestion des profils et leur mise en relation avec des entreprises par l’intermédiaire de missions. 

Sera ainsi constitué un “vivier” dans lequel les entreprises vont pouvoir puiser à la demande, pour réaliser tel ou tel projet, dans un temps donné, comme toute autre ressource,  

A la grande différence du modèle Uber, les futures plateformes, à l’image des CDI intérimaires, des cabinets de conseil ou autres ESN (entreprise de services du numérique), vont salarier leurs ressources humaines.

La politique salariale sera directement inspirée de ces grands groupes avec des règles internes complexes. Le salaire comprendra vraisemblablement :

  • une composante minimum représentant la disponibilité, 
  • une composante mesurable représentant la production,
  • une composante exceptionnelle représentant la création.

Ainsi, la plateforme RH va jouer le rôle de “pôle emploi” mais pour son compte, avec ses clients et ses méthodes. L’individu (ou mieux une équipe), pressenti pour une mission en entreprise, sera présenté par un vendeur “plateforme”, très motivé, avec un CV rédigé selon les règles de l’art et un document décrivant la mission de manière précise et valorisante.

Le candidat ne sera plus livré à lui-même, à devoir soigner son CV, ses entretiens ou toute autre présentation. Quelle différence ! 

L’entreprise aura préalablement établi avec la plateforme RH un contrat cadre de prestations pour accélérer le démarrage des missions. 

Les profils à haute valeur ajoutée comme les consultants, représentent une ressource rare donc chère. Pas étonnant que le modèle fonctionne déjà pour eux. Qu’en est il pour les profils à faible valeur ajoutée ? Le pari repose sur les assertions suivantes :

  1. Le transfert progressif des salariés d’entreprises vers les plateformes RH, va créer la rareté donc la valeur.
  2. En relation directe avec les entreprises, les services de formation internes ou partenaires à la plateforme RH vont améliorer l’adéquation des besoins aux profils proposés et donc accroître leur valeur.
  3. L’ensemble des données sur les entreprises, les profils, les missions sera analysé selon les techniques du big data et pourra dynamiser le flux d’activité, générateur de valeur.

Inéluctablement :

  • la migration des salariés vers les plateformes RH s’effectuera des profils les plus rentables aux moins rentables
  • jusqu’à devenir obligatoire comme certaines assurances, de sorte que chaque actif sera affilié à une plateforme RH
  • Les branches professionnelles seront représentées dans l’idéal par 2 ou 3 plateformes (comme l’énergie, les télécoms, les transports routiers …)

La notion d’emploi (donc de chômage) disparaîtra au profit de la notion d’employabilité et ne sera plus un souci pour l’état. Bien meilleur pour taxer et contrôler que pour produire ou organiser.

Les plateformes WF

La disparition progressive du management hiérarchique va faciliter l’organisation du travail en réseau d’acteurs indépendants et managés. C’est le côté “pile” de ce nouveau modèle, représenté par les plateformes de Workflow (WF) alors que le côté ”face” indique les plateformes RH. 

Le principe récursif, inspiré de la roue de Deming, est le suivant :  

  1. phase de définition : à l’entrée de la plateforme WF, le client “saisit” un besoin qui se traduit en projet. 
  2. phase de planification : la plateforme WF propose une ou plusieurs « chaînes de valeur” qui décrit les tâches principales du processus cible,
  3. phase d’exécution : une fois choisie (comme un itinéraire Google Maps) la chaîne de valeur se déroule en exécutant chaque tâche constitutive,
  4. phase de contrôle : La plateforme WF prend le contrôle à la fin de chaque exécution et se réfère à la définition du processus pour décider quelles seront les nouvelles tâches à lancer (ordre et timing).

Un peu comme Amazon ou Chronopost pour la logistique, le client pourra suivre visuellement l’avancement dans l’espace-temps de son projet avec un statut à chaque étape.

Inutile de dire que ces plateformes vont “apprendre” de plus en plus selon les méthodes du “machine learning” et ainsi fluidifier l’organisation du travail.

En particulier, durant la phase de définition, l’acteur cible est sollicité par une notification accompagnée d’un cahier des charges normalisé, décrivant exclusivement la tâche qu’il lui incombe, sans avoir à connaître le contexte, c’est à dire les tâches en amont ou en aval de la sienne. 

Ainsi, nous verrons s’organiser autour de plateformes WF des acteurs recentrés sur leur coeur de métier, utilisant pleinement des services standards comme :

  • aide à la définition : cahier des charges, pricing, prérequis…
  • évaluation : contrôle qualité, délais, cahier de recettes, notations…
  • assurance : défauts, retard, remplacement, annulation…
  • soumission:  enchère, appels d’offre, exclusivité…
  • notification : prise en charge, réception, en attente, en veille…
  • rémunération: paiement, crédit, change…
  • packaging : emballage, mise en valeur, blog, documentation…
  • logistique : transport, livraison…
  • etc…

Résultat

Pour les entreprises

Les plateformes de ressources humaines vont libérer les entreprises de la gestion du personnel. A terme, les entreprises n’auront plus de division RH, plus de service Paie, plus de plan de carrière à gérer, et pourront se consacrer davantage sur leur coeur de métier avec une forte flexibilité. 

De l’autre côté, les salariés d’une plateforme RH seront totalement pris en charge : missions, formations, emploi du temps, évolution de carrière, rémunération, mobilité… 

Pour survivre, les plateformes RH vont devoir développer un fort sentiment d’appartenance, un espace culturel et solidaire pour associer sentimentalement les adhérents-salariés et ainsi éviter les abus. 

L’animation de la vie communautaire sera assurée par une forte communication interne : news, parrainages, événements, recrutements, règlement intérieur…

Les plateformes WF vont libérer les entreprises des circuits de décision hiérarchiques traditionnels connus pour leur rigidité. Elles vont interconnecter automatiquement les entreprises individuelles, petites, moyennes et grandes en assurant une gestion centralisée des circuits de production.

Enfin, La concurrence entre plateformes conduira à l’amélioration continue de la condition du salarié et l’efficacité des processus.

Pour les individus 

Les plateformes RH vont apporter une avancée sociale sans précédent : 

  • revenu minimum,
  • formation supérieure diplômante,
  • formation continue,
  • réception des offres d’emplois à domicile sans recherche, 
  • banalisation du travail à distance, 
  • fin des discriminations ethniques,
  • diversification des missions,
  • possibilité d’exercer en parallèle plusieurs missions ou au contraire, les espacer.

Elles annoncent la fin du salariat traditionnel par l’entreprise. Progressivement, les actifs seront salariés des plateformes RH. Ce n‘est qu’une question de temps et bientôt très banal.

Pour la société

Les effets induits sont :

  • une densification du tissu productif,
  • diminution du chômage et de la pauvreté,
  • diminution des cols blancs (les managers), 
  • apaisement du climat social,
  • obsolescence de nombreux services publiques,
  • recentrage de l’état sur ses missions régaliennes,
  • recentrage de l’état sur les formations polyvalentes ou “tronc commun”.

Vers un écosystème socialement intégré

Le travail est un aspect, certes important de la vie d’un individu, mais cette dimension est indissociable de la santé, de l’employabilité, de l’hébergement, de la famille, des congés, de la fiscalité, de la mobilité, des loisirs, etc.

En fait, l’organisation du travail nécessite l’intégration de tous ces services connexes et donc la mise en place d’un réseau de plateformes partenaires dédiées au social.

Ce réseau permettra d’intégrer toutes les informations utiles à l’élaboration de propositions de mission en faisant appel à l’intelligence artificielle capable de résoudre en masse des problèmes d’optimisation sous contraintes.

Fondateur du Forum de Davos, Klauss Schwab déclare “depuis 1973, je me fais l’avocat, sans relâche de la responsabilité sociale des entreprises. Je me suis élevé contre le credo du Prix Nobel Milton Friedman selon lequel les entreprises doivent se concentrer sur leurs profits et payer leurs impôts laissant tous les enjeux sociaux aux gouvernements”. 

Dans le nouveau modèle qui s’annonce, la responsabilité sociale sera clairement confiée, non pas aux gouvernements, ni aux entreprises mais aux plateformes RH. 

Franck Giuly

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