La solidarité à toutes les sauces fiscales. Comment bâtir un système cohérent
De très nombreux prélèvements obligatoires s’appuient dans leur calcul sur des données sociales (famille, handicap, ressources…). Ceci pour les rendre plus justes. L’intention est louable, le résultat désastreux.
Ce que j’ai appris en tant que concepteur de logiciels
Centraliser au même endroit les données d’un même objet, permet de le réutiliser facilement et de le faire évoluer avec une meilleure maîtrise.
Constat
Le taux d’imposition augmente en fonction des revenus. C’est le principe de la progressivité. Il est à comparer avec une logique de proportionnalité, ou encore une logique de dégressivité.
La proportionnalité s’applique pour la TVA par exemple, et pratiquement partout dans la vie courante : à la pompe à essence, chez le primeur. Elle a l’avantage de la clarté : un prix est un prix. Même si celui-ci peut varier dans le temps, on s’attend à ce que “l’addition” soit en fait une simple multiplication du prix par la quantité.
La dégressivité s’applique en général dans le commerce pour tenir compte des volumes : “3 citrons pour le prix de 2”. Dans l’industrie, le coût marginal unitaire diminue avec la quantité produite : si vous fabriquez un moule pour produire 100 jouets, le prix de revient du jouet diminuera si le même moule produit 1000 jouets.
La diminution du prix de revient entraîne la dégressivité du prix de vente. Le même principe est appliqué pour les centrales d’achats qui obtiennent de meilleurs prix dès lors que les quantités commandées augmentent.
Le piège de la progressivité
La progressivité est une incongruité au départ : “Achetez 2 citrons pour le prix de 3”. La justification de la progressivité de l’impôt est le prix de la solidarité.
Autant être clair : une contribution pour la solidarité permettant la redistribution, est tout à fait nécessaire dans notre société qui produit beaucoup d’inégalités sociales. Mais quand la solidarité se généralise dans notre arsenal fiscal, parfois insidieusement sous les vocables “sous conditions de ressources”, “sous réserve d’imposition”, « quotient familial » ou « plafond », on mélange tout.
Quand le pompiste nous demandera-t-il le nombre d’enfants à charge avant de régler le plein d’essence ? Certains diraient que ce serait justifié !
Quand on mélange tout, le maquis législatif ou réglementaire qui en résulte, impose de recruter des milliers d’agents administratifs pour mettre au point les systèmes, avec des formulaires et des bases de données de plus en plus complexes. Les difficultés liées à la collecte des informations, à la redondance, aux contrôles, aux échanges, aux contraintes…, se ressentent sur le pilotage et la charge de travail.
La difficulté première concerne la faculté de faire évoluer l’ensemble suite à de nouvelles dispositions souvent complexes car résultantes de négociations politiques. On atteint le stade de l’ inefficience.
Autre difficulté : le cumul des impôts, taxes ou cotisations sous conditions sociales, introduit des effets de seuil. Il devient parfois plus intéressant de ne pas être imposable. Alors, l’incitation au travail, le consentement à l’impôt, les mentalités sont durablement touchés. La perte de valeur est considérable. On atteint le stade de la toxicité.
Enfin, cerise sur le gâteau, quand un impôt sur la solidarité est créé – ISF (comme si la solidarité fiscale ne s’était pas déjà largement exprimée), selon une logique patrimoniale proche de l’expropriation, on atteint le stade du poison. Voir l’article.
Quand on se satisfait d’un tel bilan, il y a nécessairement une raison autre que l’ingéniosité irresponsable du ministère des finances. Elle touche à des considérations électoralistes : il est en effet très fédérateur de pointer un doigt culpabilisateur, en assénant “justice sociale !”.
Bienvenue en enfer
L’introduction dans les déclarations fiscales de conditions sociales multiples est tellement ancrée dans les moeurs qu’on n’ose imaginer la charge de gestion de toutes ces informations.
On les retrouve à tous les niveaux administratifs : municipalité, département, région, état. De plus , elles sont maintes fois répétées, évolutives, avec des variantes d’une rare complexité. Une petite idée du maquis fiscal :

Quelques exemples de taxes ou subventions sous condition de ressources ou d’exonération
- taxe foncière
- allocations familiales
- complément familial
- prime d’activité
- prime à la naissance
- prime à l’adoption
- crédit d’impôt pour la transition énergétique
- complément de libre choix du mode de garde
- allocation de soutien familial
- allocation de rentrée scolaire
- prime de déménagement
- aide cantine scolaire
- etc..
Comment en est-on arrivé là ? Il est grand temps d’introduire de bonnes pratiques dans la modélisation des politiques sociales et fiscales.
Une solution pour demain
Créer le Dossier Social Personnel : DSP
Au même titre que le Dossier Médical Personnel (DMP) représentant une grande avancée pour le suivi médical de l’individu, le Dossier Social Personnel a vocation à centraliser les données économiques et sociales comme :
- la situation économique : historique des revenus…
- la situation familiale : conjoint, veuf, enfants à charge…
- la situation de validité : handicap, infirmité…
- l’habitation : lieu, logement…
- l’identité : age, parents…
- etc…
Créer l’Allocation ou la Contribution Sociale de Solidarité : ACSS
Mensuellement, le DSP ouvre des droits à une allocation unique et centralisée : l’ACSS
- fusionnant l’ensemble des aides sociales actuelles
- calculée selon une formule introduisant les informations issues DSP, y compris les revenus
- peu importe la complexité de la formule, l’important est qu’elle soit unique et centralisée
- la prise en compte des revenus peut donner lieu à un allocation négative auquel cas elle se transforme en contribution
- la formule peut être progressive selon le revenu traduisant la dimension « solidarité » du modèle.
Simplifier l’impôt sur le revenu et la feuille de paie
Les modalités de calcul de l’ impôt sur le revenu (du travail) sont les suivantes :
- La notion de salaire brut, salaire net, salaire super brut disparaît à la faveur du Revenu (ou Rémunération) représentant la dépense de l’entreprise en contrepartie d’un travail.
- L’IR devient proportionnel au Revenu selon un taux unique et universel étant donné que les cotisations sociales ainsi que la progressivité ont été « déplacées » dans l’ACSS
- Toutes les données autres que celles relatives au Revenu disparaissent de la feuille de paye (sécurité sociale, CSG, mutuelle …). En effet, pourquoi ne pas y avoir indiqué la contribution pour la défense, l’éducation, la justice, les syndicats, la vie parlementaire, la création artistique, etc…
- Les notions de cachet, émoluments, indemnités, rétribution, honoraires, paie, deviennent des synonymes au sens fiscal : pas de différence en terme de traitement fiscal.
Généraliser la proportionnalité des prélèvements obligatoires
Dans le même esprit, il faut supprimer progressivement la dimension “sociale” de chaque prélèvement obligatoire, qu’il ait un caractère national ou local et le rendre proportionnel à son objet puisque l’impact social est déjà présent dans l’ACSS.
Ainsi, la taxe foncière par exemple, ne serait déterminée que par les caractéristiques du bien immobilier concerné : lieu, surface, catégorie, nombre de fenêtres, nombre de jours d’ensoleillement… pourquoi pas ?
Rétablir la non gratuité de toutes les services sociaux spécifiques
Toutes les aides sociales étant potentiellement intégrées par l’ ACSS, l’accès aux prestations s’effectue de manière libre, payante à un prix proportionnel à leur objet. Ainsi, l’accès à la cantine s’effectue par tous les enfants volontaires, au prix du repas.
Résultat
- Toute la politique sociale (aides et solidarité) s’exprime dans un unique mécanisme centralisé des données personnelles.
- Ce mécanisme permet une meilleure maîtrise dans le suivi et une plus grande transparence du caractère « allocataire/contributeur » de chaque citoyen.
- Il permet de corriger les anomalies de gestion dûes aux effets de bord.
- Toute personne percevant un revenu doit s’acquitter de l’impôt sur le revenu.
- Prise de conscience que toute prestation sociale spécifique de l’état n’est pas gratuite.
- Les prélèvements obligatoires, « nettoyés » des données personnelles, se déclarent avec un caractère universel, une logique proportionnelle offrant lisibilité et simplicité .
- Ca tombe très bien ! Il n’est pas dans l’esprit du RGDP que les strates administratives (région, département, municipalité) aient la main sur les données sociales profondément personnelles.
- La feuille de paye ne présente que quelques lignes.
- Compte tenu de la simplification, la réalisation de simulateurs sera fidèle et quasi immédiate.
L’effet secondaire merveilleux de ce choc de simplification administrative, est que l’on pourra réaffecter des dizaines de milliers d’agents administratifs à des tâches plus valorisantes ou procéder à leur non remplacement au départ à la retraite. Ce qui fera diminuer de facto les impôts.
Cette architecture nous fera faire des économies substantielles, de sorte qu’il n’y ait pas de perdants (sauf anomalie) dans la phase de réforme en procédant un « alignement par le haut ».
Surtout, elle nous fera faire l’économie de débats épuisants et stériles. On ne pourra plus jamais s’indigner en criant « cet impôt n’est pas juste ! «
Franck Giuly
Si on veut vraiment simplifier, il faut distinguer la fourniture de services (toujours payante à l’unité d’oeuvre) et « le jeu à somme nulle » qui redistribue de l’argent des personnes physiques riches vers les personnes physiques pauvres. Le « jeu à somme nulle » peut être une formule simple appliquée par l’Etat à chaque individu (y compris enfant) : par exemple si R est le revenu de la personne (nul pour un enfant), Rm la moyenne des revenus des personnes, le correctif qu’on applique au revenu (par « prélèvement à la source ») serait l’ajout de 50%x(Rm – R). En revanche, la scolarisation d’un enfant dans le primaire coûterait 500 euros par mois, la protection physique coûterait 50 euros par mois, l’assurance maladie (remboursement des soins) coûterait 250 euros par mois, etc…
Les collectivités locales ne pourraient pas prélever autre chose que des redevances.
Il faut réfléchir à l’affectation de la TVA à des services liés à la consommation ; on peut penser à la retraite au-dessus d’un revenu universel puisque la logique ci-dessus conduirait à revenir à la capitalisation pour tout le monde ce qui n’est pas possible techniquement…